Je post ici car c'est d'ici que tout est parti et l'histoire n'est jamais qu'un cycle. Je vous remercie et j'espère que vous aurez la patience de parcourir ces lignes. Je dédie cet instant à tous ceux que j'aime et j'apporte une touche particulière à la Dragonne la plus délicate de tout Norrath.
J’arrive à un moment de ma vie, l’approche de la quarantaine, où je me sens obligé de faire un bilan. Pourquoi suis-je encore là ? A l’instant où je rédige ces lignes, je suis bien incapable de répondre à cette question. Je vais donc revenir en arrière et tenter de comprendre mes motivations initiales et voir si je suis toujours en phase avec ce que j’imaginais. Même si j’ai bien changé depuis le début de mon aventure et surtout que je ne suis plus certain de rien, ce qui n’a pas toujours été le cas.
Je me souviens, de façon surprenante, parfaitement du moment où tout a commencé. J’étais seul devant un de ces vieux écran cathodique de PC. Un 17 pouces de marque coréenne acheté à prix d’or et qui, à un moment, avait fait ma fierté. Le tube de ce monstre était tellement gros que je devais poser l’engin à quasiment un mètre du mur. Et encore, cela ne l’empêchait pas de laisser une belle marque sur ce même mur. La chaleur cathodique…
Le PC était posé sur ce qu’il convenait d’appeler, à cette époque, un meuble informatique. Aujourd’hui, on peut observer ces horreurs comme de vieilles tables avec plateau coulissant. Mais il fallait bien les mettre quelque part ces superbes écrans qui atteignaient des résolutions de 1600 par 1200 en scintillant tellement que les yeux de l’utilisateur moyen y perdaient un dixième par an. Cette table sommaire était posée dans le coin de la salle à manger à coté d’une baie vitrée qui donnait directement sur le jardin. Un avantage et un inconvénient. J’y voyais clair et la vue pouvait être plaisante. Le scintillement du tube couplé aux reflets du soleil m’amputait cette fois de deux dixièmes par an.
Bien souvent, je passais du temps devant cet écran, la nuit. Forcément, le jour, les gens normaux travaillent et se livrent à des civilités et des mondanités qui leur permettent de vivre en communauté. Ca n’avait pas toujours été le cas. Au début de mon mariage, j’avais ma pièce à moi. Une espèce de havre d’immaturité où je pouvais me livrer à mes penchants vidéo-ludiques tout en fumant cigarette sur cigarette et en allant même jusqu’à y siroter une bière pendant que ma douce vaquait. Puis le petit troll est arrivé et cet espace de liberté est devenu sa propriété et la baie vitrée mon amie.
Alors la nuit je pensais devant cet écran. J’aimais à penser que je pouvais dépecer d’immondes créatures hostiles dans les terres non moins hostiles d’Albion où j’avais posé mes valises pendant environ trois années, le monde de Dark Age of Camelot. Un monde fascinant dans lequel j’ai pu faire des rencontre, découvrir ce qu’était une communauté online et me faire joyeusement massacrer lors de gigantesques orgies sanguinolentes appelées RvR. Je garde de cette période de grands moments de plaisir et la mémoire étant assez bien conçue, toutes les phases de frustration et de levelling laborieux me semblent lointaines et sans pénibilité à l’heure où je vous parle. Pourtant ce monde ne me convenait plus. Je ne m’y amusais plus. Je n’avais plus envie de comparer mon armure avec quelqu’un qui en avait forcément une plus grosse ni même ma hache pour les mêmes raisons. Je m’y ennuyais alors j’ai commencé à errer dans le monde du mmorpg. A cette époque, 3 ou 4 titres existaient et on y parlait de rpg encore. Comme si la notion de jeu online sans se prendre pour un elfe à grandes oreilles était un gros mot. Le jeu dont il ne faut pas prononcer le nom a bien démocratisé tout cela et aujourd’hui cela ferait presque sourire.
Je ne parvenais pas à me fixer et je multipliais les conquêtes. Puis un jour, un dimanche après-midi, je me souviens. Je tombais sur un article en ligne où l’on présentait la beta ouverte d’un jeu appelé Everquest 2. J’avais déjà vu des boîtes d’Everquest premier du nom en boutiques spécialisées et je trouvais ridicules ces humanoïdes poilus comme des lions mais bon. Grace à un magazine dont j’ai oublié le nom, je me procurais une clé beta et je pénétrais dans le monde étrange d’Everquest 2. Les débuts étaient laborieux et plus contraignants que ludiques mais je m’y amusais car j’y avais rencontré une communauté. Je crois qu’à cette époque je passais plus de temps sur les forums de Mondes Persistants que sur le jeu.
Et puis, celui dont il ne faut pas prononcer le nom est arrivé. Je suis allé à sa rencontre et j’y ai passé du temps. Quinze jours. Je m’y suis fait royalement chié tant les requis et attendus étaient éloignées de mes attentes. Je mettrais cependant au crédit de ce franc succès la démocratisation du jeu online et la prise de conscience d’un vrai genre pour le grand public. L’effet gênant fut que notre petit eq2 chéri ne fit que se vider pendant les quatre années qui suivirent pour tenter de lui ressembler : mort du craft, des différences de classes, arrivée du pvp… Nous sommes devenus un sous WoW quand nous étions à l’origine la référence. Zut, je l’ai prononcé.
J’ai joué, re joué et rerejoué et rerorollé. J’ai rencontré une communauté et je me suis fait des amis. Des vrais. Des gens avec qui je suis allé boire des canons dans la vraie vie, celle où on ne tue pas des gens et où on n’explose personne à la boule de feu, saut peut être à Bagdad. Et puis le jeu est devenu pour moi un formidable chat en 3D avec des copains, des canaux de discussions ouverts ou paradoxalement, je regardais plus les discussions que je n’y participais. Je n’osais pas et n’ose toujours pas. J’ai en tête des centaines de noms de personnalités que je connais plus qu’elles ne me connaissent et je les aime. J’ai reconstruit une réalité parallèle à la mienne et depuis maintenant bientôt cinq ans je tente de la garder vive et vivante. Pour ne pas perdre cette flamme, fugace moment de bonheur, je m’interdis de devenir moi-même une personnalité de la communauté en ne progressant en jeu que peu ou pas. Je laisse aussi beaucoup de distance avec la communauté MP que j’aime énormément pour continuer de pouvoir l’aimer. Si mon propos semble peu clair à quelque instant que ce soit, j’en conviens allègrement mais sans allégresse et je renvoie le lecteur à mes angoisses que je ne souhaite pas décrire ici.
Aujourd’hui, je suis las… J’ai voulu mettre une distance de préservation qui s’est avérée être réelle. Je suis loin, peut être déjà trop loin, je n’en sais rien. Pour ce qui est de William, je ne jurerai de rien, pour ce qui est d’Asulf, il vous salue et vous assure de son indéfectible amitié et peut être plus s’il avait le courage de prononcer les mots.
Merci
